Le milliard

Vous êtes au courant? Je suis content d'être vieux. Non pas qu'être accablé par la décrépitude due à l'âge me ravisse, mais plus je suis vieux, plus j'approche de la mort libératrice de ce que, si j'osais, j'appellerais l'incommensurable bêtise humaine, dont sont affublés les plus ignards, ce qui va de soi, mais aussi des universitaires, parmi lesquels on trouve même des professeurs, qui devraient, en plus d'enseigner leur spécialité, être capables de professer un minimum de sagesse et d'honnêteté, à défaut d'être capables d'enseigner l'intelligence. A tel point que des professeurs de tous calibres, y compris des professeurs de mathématiques, m'expliquent depuis des dizaines d'années, que nos dirigeants n'ont pas à nous présenter des chiffres, parce que les chiffres, on leur fait dire ce que l'on veut!

Heureusement que je n'ose pas déclarer tout ça; on ne me le pardonnerait pas, et on aurait raison.

Je dois quand même bien reconnaître qu'on peut faire dire n'importe quoi aux chiffres mais, j'espère que tout le monde en sera d'accord, en réalité, ils parlent d'eux-mêmes, les chiffres, et quand on leur fait dire autre chose que ce qu'ils disent d'eux-mêmes, c'est qu'on est un menteur. Pas vrai? Toutefois, pour ne pas vexer le genre de professeurs de math auquel je viens de faire allusion, et beaucoup d'autres qui ne sont même pas professeurs mais professent les mêmes choses, on est obligé de conclure que nos politicards ne doivent pas faire les comptes et nous présenter des chiffres, puisqu'on leur fait dire ce qu'on veut, aux chiffres, parce que chacun arrange les comptes à sa façon. Et aux mots, on ne leur fait pas dire ce qu'on veut? Y compris quand on veut leur faire dire les pires mensonges et les pires âneries? 

Je note qu'on ne prétend pourtant pas que nos politicards et les professeurs de tout et de rien devraient la fermer. Par ailleurs, des journalistes ayant affirmé à un certain moment que les pertes de la SNCF dues aux grèves que vous savez, étaient déjà à ce moment-là de l'ordre du milliard, dois-je conclure que nous n'avons pas le droit de reprendre ces chiffres parce que les comptes sont faux, ou à cause de ce qu'on peut leur faire dire? Politicards et professeurs, dites-moi, ce milliard, vous êtes sûrs qu'il ne faut pas en parler? Et vous, citoyens, vous ne voulez pas davantage en parler, sous le prétexte que, aux chiffres, on leur fait dire ce qu'on veut? 

Mais même si on n'en parle pas, ce milliard, il va pourtant falloir le payer. Et dans le cas d'une entreprise normale, un endettement semblable à celui accumulé au fil du temps par la SNCF entraînerait automatiquement la faillite de l'entreprise, quelqu'en fussent les causes, c'est à dire y compris dans des cas où le personnel ne serait en aucune façon responsable de ce résultat. Bien entendu, le personnel de la SNCF, par l'intermédiaire de ses représentants, nous dira que c'est de la faute des dirigeants de la SNCF et du gouvernement. Je veux bien, moi, mais encore une fois, dans le cas d'une entreprise normale, on fermerait quand même l'entreprise, et on en créerait une ou plusieurs autres pour pratiquer la même activité, si jamais nous avions besoin d'une ou de plusiers entreprises pratiquant cette activité. Pas vrai?

Naturellement, en attendant que de nouvelles entreprises soient créées, un syndic serait chargé de gérer la SNCF jusqu'au moment où d'autres seraient capables de la remplacer, mais ce syndic serait aussi chargé de liquider la SNCF, comme cela se fait pour les entreprises normales en faillite. Et, naturellement, afin d'éviter des déficits pareils, la ou les nouvelles entreprises de transport ne seraient pas crées sur les mêmes principes. Ce qui signifie que, toujours comme c'est le cas avec des entreprises normales qui font faillite, des employés de la SNCF seraient peut-être embauchés dans une nouvelle entreprise, et d'autres pas. Ce serait dur! Pas vrai? Oui, mais c'est comme ça dans toute les entreprises normales. 

Par contre, avec la SNCF, c'est bien sûr l'Etat qui va payer le milliard dont il est question plus haut, et rien ne nous garanti que cela ne va pas recommencer dans un mois, dans un an, ou dans une semaine. Et l'Etat qui aide cette entreprise à payer ce milliard de déficit, en plus du déficit déjà accumulé avant la grève, ça veut dire que c'est le contribuable qui va payer ça, c'est à dire vous et moi. C'est bien pourquoi nombreux seront ceux qui vous diront qu'il ne faut pas faire les comptes, parce que les chiffres, ou leur fait dire ce qu'on veut! Et ils ont bien raison, parce que le jour où les corniauds que nous sommes, vous et moi, comprendront que lorsque le personnel de certaines entreprises fait grève pour s'opposer au gouvernement, c'est en réalité à notre bourse que ces gens s'en prennent, nous écouterons certainement leurs discours d'une autre oreille.

Et ma réforme constitutionnelle? Et ma réforme fiscale? Ne serait-elles pas bien venues pour régler tout ça?

Je me demande si, par hasard, Coluche n'avait pas raison quand il disait: "Il paraît qu'on est cernés par les cons. C'est vrai, mais on se rend pas compte à quel point.

Régis Ducon Lajoie la Marée Monte

N'oubliez pas de venir chaque semaine sur ce blog pour découvrir ce que ce bon Régis a concocté pour vous amuser, ou pour vous faire grincer des dents. Et faites-lui beaucoup de PUB si vous aimez, ou dénoncez-le le plus possible à tout le monde si vous n'aimez pas.

Bise