La torgnole

Vous êtes au courant? Il paraît qu'il ne faut pas battre un enfant. C'est d'ailleurs pour nous en convaincre que la télévision nous montre parfois une espèce de taré qui donne une torgnole monstrueuse à un gosse. Mais je ne sais pas si montrer ça à la télévision est bien utile. En effet, si individu est assez crétin pour coller une baffe pareille à un lardon, c'est qu'il est bien trop abruti pour comprendre. Et puis celui qui fait ça, même un seule une fois, n'a plus son enfant; il peut vite se mettre au lit pour en faire un autre, parce qu'avec une gifle comme celle qu'on nous montre à la télé, le gosse est mort. Pour nous montrer ça, il faut que les gens qui ont produit ce film ne soit pas plus malin que ceux qui frappent des enfants de cette façon. Ils vont dans l'autre sens, certes, mais au niveau des méninges, ils se valent. Avec une claque pareille, même un adulte va tout droit aux urgences en ambulance. Même moi, tout vieux que je suis, si je vous en colle une comme ça, je vous allonge raide. Vous ne me croyez pas? Si vous voulez, nous pouvons faire l'expérience. Vous vous asseyez pour être à la bonne hauteur et vous ne bougez surtout pas, afin de ne pas me faire rater mon coup, et vous vous laissez bien faire, comme le gosse de la télé. Evidemment, si vous êtes volontaire, après ça, il ne faudra pas aller porter plainte. Si vous voulez participer à une expérience scientifique pour faire progresser la science, il faut savoir souffrir sans pleurnicher. Mais, vous en connaissez, vous, des gens assez tarés pour cogner comme ça sur un enfant? Pas moi. Je ne fréquente pas des gens pareils. Et puis, pour recevoir un coup comme ça sans réagir, il faut bien que le môme soit aussi taré que l'adulte qui le lui donne. Moi, quand je recevais une baffe, je reculais la tête et je levais le bras, le coude en avant. Le plus amusant, je le voyais bien, c'était que l'adulte se faisait souvent plus mal en frappant sur mon bras osseux, qu'il ne m'en faisait. Et mes copains levaient le bras au bon moment, comme moi, aussi bien à l'école avec les instituteurs, qu'avec leurs parents. Et, espiègles que nous étions, nous en riions, ce qui, je le reconnais, n'était pas charitable pour ces pauvres adultes que nous faisions tourner en bourrique.

Pour le futur, il faudra attendre encore un petit peu, mais par le passé comme par le présent, j'ai vu des enfants de tous âges devenir complètement incontrôlables et, pour reprendre cette expression, vraiment faire tourner en bourriques des adultes impuissants, ne sachant comment s'y prendre avec un petit démon déchaîné. Pire encore, dans certain cas, il y avait de quoi craindre pour la sécurité du petit animal capricieux. Que faire? Attraper cette petite boule de nerf pour la ficeler semblait à la fois difficle et la seule voie possible. Jusqu'au moment où, finalement, une vieille qui en avait vu d'autres, arrivait en trombe sur le gosse en disant: " Maintenant ça suffit! De mon temps, on ne faisait pas tant d'histoires. On n'avait pas le temps! Toi, tu vas avoir ta fessée." Et la vieille de lui en coller une bonne, mais pas une d'idiot complètement dégénéré comme celle qu'on nous montre à la télé. Non, une vraie, une bonne, bien appliquée, bien dosée, bien adaptée. Si bien adaptée qu'il n'était même pas nécessaire d'aller jusqu'à la fessée promise. Quand vous courez toute la journée pour gagner de quoi manger, il faut que ça aille vite, dans l'intérêt des parents, mais aussi des enfants. Il n'y a que ceux qui n'ont rien d'autre à faire qui peuvent s'amuser avec ça. Figurez-vous qu'en Allemagne, quand un enfant devient incontrôlable, au lieu de lui en donner une petite, juste ce qu'il faut, c'est à dire bien souvent symbolique, les parents doivent appeler la police. Et que va faire la police? Elle va la lui coller, la fessée? Non, bien sûr. Elle va lui faire payer une amende, au petit polisson? Ou alors, quoi? Découvrant qu'il ne se passe rien de désagréable et pour peu que ça l'amuse, les parents vont pouvoir l'appeler souvent, la police. Elle pourra même s'installer chez eux.

Il ne faudrait pas perdre le sens de la mesure. Faire d'un enfant son souffre douleurs est inadmissible, et c'est bien pour cela qu'on ne l'admet pas. Maltraiter un enfant est inadmissible, et c'est bien pour ça qu'on ne l'admet pas, non plus. Mais se laisser maltraiter par un enfant est tout aussi inadmissible. Un jour, un petit bonhomme intenable sur lequel les parents ne lèvent jamais la main m'a donné un coup de pied. Je lui ai promis de le lui rendre si jamais il recommençait, et de taper si fort, que j'allais l'envoyer dans l'arbre voisin. Il a continué à être intenable avec tout le monde, sauf avec moi. Il ne me quittait plus et, à la surprise de ses parents, il ne ratait jamais une occasion de me témoigner son affection. Comprenne qui pourra. 

Je me demande si, par hasard, Coluche n'avait pas raison quand il disait: "Il paraît qu'on est cerné par les cons. C'est vrai, mais on se rend pas compte à quel point."

Régis Ducon Lajoie la Marée Monte